classique / classicisme, néoclassique / néoclassicisme  [français]

lat.
all.
angl.
it.
→  baroque, esthétique, goût, manière, mimesis, Neuzeit, romantique

L'évidence de la traduction de dans toutes les langues européennes, due à une racine commune latine ( ), masque des décalages de contenu selon les langues et les cultures. L'adjectif classicus (de première classe) fut employé par pour désigner les meilleurs auteurs, de à ceux que l'éducation humaniste fit étudier dans les classes (d'où une plaisante fausse étymologie, déjà présente chez ). Le mot est utilisé en ce sens dans toutes les langues européennes, qui ont chacune leurs classiques. Il est aussi employé plus spécifiquement pour désigner les expressions artistiques inspirées de l'Antiquité (le langage classique de l'architecture, les sculptures et ornements classiques), auxquelles s'opposa le

Mais deux emplois dérivés et divergents - en France d'une part, pour qualifier l'art du siècle de Louis XIV, considéré comme une époque de perfection à l'égal des siècles de Périclès et d'Auguste, en Allemagne d'autre part, pour désigner le système formel de la haute Renaissance italienne par opposition au système  - sont venus créer un nœud sémantique encore compliqué par un dernier décalage d'usage entre les Allemands, qui appellent la réaction au qui s'oppose en aval au romantisme, et les autres Européens qui nomment le renouvellement du goût lié à la découverte de Pompéi, de la Grèce et de l'Égypte.

I. De l'adjectif «   »

Au XVIIe siècle, on ne connaissait que l'adjectif « il ne se dit guère que des auteurs qu'on lit dans les classes, ou qui y ont une grande autorité », constate dans son Dictionnaire universel en 1690. À la suite d' il cite, parmi ces bons auteurs classiques, « qui ont vécu du temps de la République et sur la fin d'Auguste, où régnait la bonne latinité, qui a commencé à se corrompre du temps des Antonins », suggérant ainsi un triple lien entre l'idée de classique et l' des Anciens, la pureté de la langue, la pédagogie.

Mais, dans son Discours sur Théophraste, qui se situe dans le cadre de (voir mimesis, IV D), remarque : « nous qui sommes modernes, serons anciens dans quelques siècles ». Dès le XVIIIe siècle, le mot est étendu aux bons auteurs français, « dont il faut imiter autant qu'on peut les parfaits modèles » : « vous me faites grand plaisir, écrit en m'apprenant que l'Académie va rendre à la France et à l'Europe le service de publier un recueil de nos auteurs classiques, avec des notes qui fixeront la langue et le goût ». On retrouve le rôle de l' — de l'Académie ici —, le souci de fixer un bon état de la langue et l' de bons Les conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture, où sont analysées les œuvres du cabinet du roi (et particulièrement les tableaux de considéré comme le chef de file de ) d'une part, les cours de qui célèbrent les œuvres de d'autre part, préparent l'extension aux beaux-arts de cette notion de « classiques français », et particulièrement de «   » du siècle de Louis XIV.

Ce mouvement n'est pas propre à la France : « L'on a vu plusieurs nations étrangères, beaucoup moins studieuses que la nôtre, se faire une gloire de recueillir en un corps de bibliothèque tous les auteurs qu'elles ont donnés à la république des lettres », souligne la préface du premier tome de l'Histoire littéraire de la France publiée par les en 1733.

II. Comment le français devint

A. et «   »

Sur cet adjectif a été forgé, dans le contexte de la bataille le mot qui est encore considéré comme un néologisme par [Émile] (1873) : « […] système des partisans exclusifs des écrivains de l'antiquité ou des écrivains classiques du XVIIe siècle ». Le mot est aussi employé dans le champ des beaux-arts dans un sens voisin : on désigne comme « ceux qui font profession d'imiter les ouvrages de la statuaire antique » et on parle d' « école classique » pour désigner la « nouvelle école » de « imitatrice des Grecs et régulière dans ses compositions ».

En Allemagne, on désigne encore par le terme de ce mouvement international de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle qu'en France nous appelons «   », expression plus juste, car la source du classicisme, l' des Anciens, est renouvelée alors par la découverte de l'architecture grecque et par la rationalité des

Dans la culture française, au contraire, la notion de s'est déportée sur l'art et la littérature de la seconde moitié du XVIIe siècle. Dans le prolongement de la bataille l'enseignement universitaire et scolaire a voulu faire de la littérature française du Grand Siècle l'expression du génie français : d'expression, élégante sobriété, noblesse et des sentiments. On a étendu cette notion aux beaux-arts, et on a prétendu retrouver ces qualités dans les œuvres de de et de Cette époque correspondant au règne de Louis XIV, on a parlé d' comme les Espagnols parlent du

B. et «   »

Cependant, l'historiographie artistique germanique, d'une part, a repris le terme jusque là péjoratif de (voir baroque) pour parler de l'art du (Wölfflin, 1888) et, d'autre part, a construit une analyse visuelle sur le contraste entre l'esthétique classique des maîtres du premier et l'esthétique baroque de ceux du Seicento (Wölfflin, 1915). Le français se trouvait ainsi contemporain du italien.

Certaines spécificités nationales, dont on oubliait qu'elles n'étaient pas propres au siècle, l'existence de vifs débats autour du rôle de l' ou des antiques, dont on oubliait qu'ils traversaient les deux cultures, permirent un temps de maintenir l'opposition entre le classicisme (français) et le baroque (italien). Mais, lorsque la notion de baroque s'élargit sur des bases culturelles (stile trentino) ou formelles (grand style), il fut difficile de ne pas voir ce qui relevait de ce modèle international dans l'art français du XVIIe siècle, du lyrisme décoratif de au grand style d' En qualifiant de l' français, on en inversait la lecture, redécouvrant la théâtralité des œuvres appréciées précédemment pour leur équilibre et leur clarté, l'emphase baroque de Versailles, célébrée précédemment pour sa mesure classique - d'où la nécessité d'introduire maintenant d'autres notions comme celles d' (Éloge de la clarté, 1998). redécouvre un noir, qui aurait lu Sade, et relève chez une anxiété paranoïaque de la forme parfaite qui l'apparente à On redécouvre les tensions internes aux deux cultures, dans une référence commune, mais différenciée à l'antique : l'expression tendue du Milon de Crotone de conçu en émulation avec le Laocoon antique s'oppose aux gestes apaisés de l'Apollon servi par les nymphes de qui s'inspire de l'Apollon du Belvédère; part de la même statue, qu'il anime dans son groupe Apollon et Daphné, tandis que inversement, idéalise les figures ou les mannequins qu'il fait poser.

Pour les lettres comme pour les arts, le n'est pas une doctrine, mais un horizon.

Claude Mignot


Bibliographie

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Wölfflin Heinrich, Renaissance und Barock, Bâle, Schwabe und Co., 1888; Renaissance et baroque, trad. fr. G. Ballangé, prés. B. Teyssèdre, Librairie générale française, « Livre de poche », 1967;
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Outils

Furetière Antoine, Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Arnout & Renier Leers, 1690, rééd. 1694, 1737, repr. 3 vol., Genève, Slatkine, 1970, et Le Robert, 1978.
Histoire littéraire de la France, où l'on traite de l'origine, du progrès, de la décadence et du rétablissement des sciences parmi les Gaulois et parmi les Français… par des religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, 12 vol., Paris, Osmont et al., 1733-1763.

Littré Émile, Dictionnaire de la langue française, 4 vol., Hachette, 1873.

© Le Seuil / Dictionnaires le Robert, 2019.