Le et les plaisirs («   » et «   »)

⇒ article plaisir [4].

En français, la grammaire marque d'une manière particulière le passage du comme état affectif agréable au plaisir entendu comme ce dont on tire une satisfaction, généralement sensuelle. Cet usage métonymique de plaisir peut s'exprimer par une locution adjective qualifiant un endroit (« un lieu de plaisir »), un moment (« une soirée de plaisir ») ou une personne (« un homme de plaisir »). Il se rencontre aussi quand le substantif a pour déterminant un article défini et reste au singulier (par ex., « rechercher le plaisir » ou dans le partitif « se donner du plaisir »), mais, plus souvent encore, quand le vocable est au pluriel. Il peut alors garder un sens générique ou se construire avec un complément spécifiant tantôt un lieu ou un moment (« les plaisirs de Capoue »), tantôt un champ d'activité ou un type de plaisir (« les plaisirs de la chasse, du sport, de l'amour »).

À propos de ces plaisirs amoureux, qui ne se limitent pas à l' comme tel et qui sont qualifiés par la pastorale chrétienne de «   » ou de « plaisirs défendus », on peut constater que le français, comme sans doute bien d'autres langues modernes, est obligé d'emprunter habituellement la tournure périphrastique, alors que les langues anciennes telles que le sanscrit, le grec et le latin disposent, pour cela, d'un vocable spécifique. Ainsi, dans la littérature védique, le mot kama désigne le plaisir des sens ou de l'activité sexuelle, même s'il en vient à couvrir, à partir de là, l'ensemble du champ sémantique de l'amour. Plus clairement encore, dans l'antiquité gréco-latine, il existe un mot particulier pour désigner l'amour physique : en grec, le verbe [ἀϕροδιςιάζειν] (« se livrer aux plaisirs sexuels », dans le cas de l'homme; à la voix passive, quand il s'agit de la femme); en latin, le substantif neutre -eris (« désir et jouissance sexuels »), qui a un correspondant exact en sanscrit avec uanah (« désir »). Chacun de ces deux termes grec et latin s'est fixé dans cette acception spécifique du fait qu'il en est venu à personnifier la divinité — Aphrodite ou Vénus — présidant à de tels plaisirs ( [τὰ ἀϕροδίςια], chez les Grecs; chez les Latins).

Or, à la différence de ces langues anciennes, nos parlers contemporains ne disposent pas de vocable particulier stable pour désigner les plaisirs sexuels, à moins de recourir au langage de la trivialité : ainsi, en français, la « bagatelle », la « gaudriole », la « baise » (ou - en plus obscène, du fait notamment qu'il désigne l'acte sexuel lui-même - le verbe « foutre » [du latin futuere], particulièrement en faveur chez ). Pour sa part, l'italien recourt à l'adjonction d'un qualificatif, par exemple dans godimento venereo (« plaisir sexuel [littéralement, vénérien] »). Quant au terme d' inventé par (1794), il désigne une tendance, un intérêt ou des modalités relatifs à l'amour physique plutôt que les plaisirs mêmes propres à celui-ci.

Charles Baladier

© Le Seuil / Dictionnaires le Robert, 2019.